Aujourd’hui, petite surprise : on donne la parole à Renaud Marquot, un autodidacte grenoblois qui a la bougeotte. Il nous parle de l’Iran, un pays qu’il a enfin pu visiter après cinq tentatives infructueuses… C’est du pur Renaud dans le texte, on vous laisse savourer.
Pour en savoir plus sur ce qu’il fait, retrouvez-le sur Twitter !
Expulsé à la douane, retenu pour une future-ex émission, renversé en scooter…
L’Iran. J’avais envie d’y aller depuis longtemps, mais ça n’a jamais marché ! Avec toutes les tentatives avortées, je commençais à entendre la petite voix « c’est un signe n’y vas pas ». Du coup, j’ai encore eu plus envie d’y aller.
Tentative 1 : En 2010, mon rêve est d’aller en train de Turquie jusqu’en Iran, pour la fête de Noruz, le 21 mars, leur nouvel an. Un mois avant de partir, j’ai un accident de scooter, qui m’a cloué au lit pendant trois mois… Mon voyage a été annulé.
Tentative 2 : Après un trip en Afghanistan en août 2011, je suis arrivé à Téhéran par avion. Le consulat d’Iran en France, à l’époque, indiquait clairement la possibilité d’obtenir son visa à l’aéroport. Pour ma part, je me suis retrouvé dans une pièce avec un policier qui n’avait qu’un mot pour moi : « BLACK LIST ».
Et aussi une phrase, pour que je paie mon billet retour.
Je lui ai gentiment répondu que s’il ne voulait pas de moi dans son pays, je n’allais payer un billet retour de ma poche. J’avais prévu de traverser l’Iran du nord au sud, avant de prendre un bateau pour Dubaï, d’où j’avais un vol retour pour la France. Finalement, j’ai eu le droit à un vol le soir-même, direction Dubai airport !
Iran, bonjour, merci, au revoir. J’ai pensé m’échapper (laisser mon passeport, mon sac) et quitter l’aéroport pour courir à travers les champs, avant qu’ils n’aient le temps de m’expulser, pour faire ce trip que je voulais tant. Puis je me suis dit que ça allait déraper, genre chasse à l’homme. Je voyais déjà les titres « Un Français recherché en Iran ». Normal.
A Dubai, je me suis consolé : je me suis faufilé dans un palace 5 étoiles et j’ai enfilé le peignoir d’un client, le personnel de l’hôtel pensait que je faisais partie de la clientèle. J’y suis resté 2 jours avec mon plus grand sourire… Je n’ai pas profité de la nuit mais j’ai eu tout le reste.
Tentative 3 : Le voyage était prévu pour février 2014, mais j’ai passé un casting la veille du départ. On m’a dit « tu dois absolument venir au deuxième round la semaine suivante », alors que je devais être en Iran. Je suis venu. L’émission ne s’est jamais faite. Depuis, je ne fais plus passer mon travail avant mes voyages 🙂
Tentative 4 : Septembre 2014. Je vais à l’ambassade d’Iran en France, on me dit que sans billets d’avion, on ne me déliverait pas de visa. Mais comment on fait quand on veut y aller en train, comme moi ?
Bref, je n’ai pas cherché. Dans ces cas-là, mieux vaut se faire oublier…
Tentative 5 (la bonne) : octobre 2014. Le projet, c’est de me poser à Istanbul avant d’aller à Trabzon pour demander un visa. Il y a aussi une ambassade d’Iran à Istanbul mais celle de Trabzon est connue de tous les voyageurs pour délivrer une visa le jour-même ou en 24H. C’est un rendez-vous incontournable, j’y ai rencontré des chinois, japonais, allemands. Mais attention, l’ambassade ne prends que les 10 premiers qui se présentent.
Il faut remplir des formulaires et déposer vos empreintes. Attention, l’encre reste plusieurs jours sur les doigts !
Mon plan initial était de prendre le Trans-Asia express Ankara – Téhéran qui passe une fois par semaine. 3 jours, 2 nuits, avec cette ambiance de partage que l’on ne trouve que dans les trains longue distance.
Mais cela me faisait perdre un jour en Iran. Ce fût un choix difficile, car y aller en train était mon projet initial, mon projet de longue date. J’ai finalement pris le bus de nuit, avec Nomou, une Japonaise rencontrée à l’ambassade.
Arriver en Iran par les barbelés
Trabzon – Dogubayezit, c’est 10h de bus. Nous sommes arrivés au petit matin à travers la steppe, dans cette dernière ville turque avant le poste frontière de Barzagam (un repère de filous ! le seul endroit où on essaiera de vous escroquer en Iran).
A la gare de bus de Dogubayezit, j’ai pris un dolmus (taxi collectif / mini van). Toujours avec la jeune Japonaise sous mon aile, je me sentais un peu Superman, à lui porter sa valise et lui dire « n’aie pas peur, tout va bien se passer… » Il faut dire qu’on partait dans une période géopolotique trouble et on ne savait pas jusqu’où le conflit syrien s’étendait. Et avec nos têtes de touristes… Surtout elle, pas moi, je m’étais fait pousser une bonne barbe, mais bon, barbe ou pas, avec un sac de rando sur les épaules ! Ajoutez à cela les gens qui t’envoient des mails de France pour te dire qu’en Syrie ils ont décapité un otage, que tu es fou… Même si tu sais que l’Iran ça ne craint pas, tu te mets à avoir peur.
Vous avez peur pour nous ? Pas la peine…
Après avoir déposé deux Syriennes avec des yeux comme j’en ai rarement vu, nous marchons avec des
Turcs et un Iranien entre deux grillages sur environ 500m, comme un grand couloir de cour de prison avec barbelés en hauteur, pour arriver côté iranien. Pas de fouilles, pas mal de questions mais rien de vraiment piège (« que pensent les Français de l’Iran? » « les Allemands ne nous aiment pas non ? »).
Je ne suis pas Allemand moi.. Je veux juste découvrir votre culture !
Et hop là, nous voici de l’autre côté (j’ai soudoyé le douanier en lui offrant une Tour Eiffel en porte-clef… )
A moi l’Iran ! Les pistaches et centrales d’uranium ! A moi l’Iran, ton histoire, tes poètes et ta gentillesse dont on m’a tant parlé…
Echange de photographies et verre de thé sur le capot
Il y a la rencontre surprise, la rencontre qui t’emmène loin, la rencontre qui tombe à pic alors que tu es à bout, la rencontre qui partage tout…c’est tout ça l’Iran, des rencontres et encore des rencontres.
Mais je pense souvent aux enfants afghans que j’ai rencontrés très loin du centre de Téhéran, dans une école gérée par une association venant en aide aux réfugiés ayant fui la guerre. Un apprenti photographe rencontré la veille m’avait proposé de m’y emmener.
Je suis arrivé dans un sous-sol qui faisait office de salle de récré, rempli d’enfants pour un atelier peinture. Couleurs et cris de joie au programme, je suis là j’observe, l’ivresse de la jeunesse, ce moment de jeu pour ces enfants de migrants afghans à qui l’on veut redonner confiance, leur montrer qu’ils peuvent apprendre et qu’ils pourront faire quelque chose plus tard.
J’ai sorti l’appareil photo. Certains avaient peur, d’autres refusaient ou encore certains garçons demandaient pourquoi je souhaitais avoir un portrait de leurs soeurs.
Et puis bien sûr, il y avait ceux que ça ne dérangeait pas du tout, et c’était forcément la bonne surprise quand ils se voyaient sur l’appareil. Dans l’après-midi, c’est le coeur serré que je quitte l’école et que je rentre chez Setareh, qui m’héberge, puisque j’ai prévu de partir direction le sud.
Mais j’ai quelque chose qui trotte dans ma tête, j’ai passé un moment magique avec ses enfants, nous avons échangé quelques mots, quelques blagues, quelques jeux…. Je veux faire plus.
Ca me vient comme un flash, ça me rappelle quelque chose d’inachevé, lors de mon voyage en Afghanistan quand j’avais fait le portrait de vieux chefs de village dans la vallée du Panshir mais je n’avais jamais pu leur envoyer les photos.
Je décide alors de ne pas partir sur les chemins qui devaient m’emmener à Ispahan et de rester pour imprimer tous les portraits et les porter à l’école le lendemain. Joie générale, tout le monde veut maintenant sa photo, les enfants accourent, des mamans arrivent de tout le quartier pour me donner leur bébé à photographier.
La personne qui m’accompagne encore m’explique que la plupart n’ont jamais eu de photo d’eux.
J’ai tellement envie de trouver une galerie pour exposer les visages de ces enfants et vous raconter l’histoire de chacun d’eux.
Leur professeur, un afghan d’une vingtaine d’années, orphelin depuis l’enfance, avait un jour reçu une simple lettre venu d’Iran avec ces quelque mots de son frère, qui avait fui dans ce pays quelques années auparavant. « J’ai envoyé cette personne te porter cette lettre, repart avec elle t’amènera à moi en Iran ».
Voilà comment il a rejoint son frère et souhaite maintenant partager son savoir avec de plus petits afghans. Voilà. Dans le « voilà » de la phrase précédente, réducteur, il faut deviner une traversée de l’Afghanistan et de ses montagnes et un passage clandestin en Iran, à 10 ans, en faisant confiance a une personne inconnue.
J’ai fait une autre rencontre marquante.
Celle de deux Iiraniens qui ont tout partagé avec moi, à la sortie de Persepolis. Ils m’ont emmené à Shiraz, qui n’était pas sur leur route, m’ont offert le thé qu’ils buvaient dans leur voiture, la théière et la tasse sur le capot, comme sur un comptoir de bar, ont déplié une nappe pour me faire un repas sur les hauteurs de Shiraz, là où les familles se retrouvent pour manger assises le soir. Ils m’ont emmené visiter le tombeau de Hafez, le poète perse le plus célèbre. Incroyable comme il est vénéré : ce tombeau absolument magnifique accueille des pèlerins de tous les âges. Ce qui m’a fait sourire : les jeunes, en mode selfie avec le tombeau. Un peu comme si nous, on faisait un selfie au Panthéon devant Jean Moulin !
« A la prochaine halte, tu es mon invité »
Tous ces Iraniens me demandaient ce que je pensais de l’Iran, pourquoi je venais en vacances chez eux, et ce qu’on disait de l’Iran à l’étranger.
J’ai été frappé par la gentillesse et la bienveillance du peuple iranien. Je n’ai pas pris un seul bus sans que quelqu’un soit venu me voir pour me dire « à la prochaine halte tu es mon invité ».
Mais j’ai eu aussi du mal à la fin, l’impression d’une prison à ciel ouvert. Les jeunes ne peuvent rien faire. Pas de café pour se retrouver, danse interdite, concerts autorisés mais pas le droit de chanter….
Le trajet
Istanbul – Trabzon – Tabriz – Téhéran – Bandar Abbas / îles du détroit d’Ormuz – Shiraz – Yazd – Ispahan – Téhéran – Istanbul